Interview

"Une histoire grande comme la main", interview d'aNNe herbauts

Je voulais écrire une longue histoire, avec des histoires dans la paume de l’histoire.
Avec une forêt, des flaques, une lisière pour la frontière du rêve.

J’ai donc construit une histoire grande comme la main, avec cinq histoires dans l’histoire, une forêt et son envers, de la pluie, des marées forestières, un enfant, un Tigre, un chat, une grand-mère. Le rêve et son voyage.
Une histoire sur grandir, écrire, compter et traverser une main, une vie, un pays de ciels d’eau et de forêt inversée.

1. Pourquoi avoir choisi la main comme fil conducteur de votre histoire ? La main est-t-elle, au même titre que l’arbre, la théière ou le merle, un nouveau signe typographique que vous réutiliserez par la suite ?

La main n’est ici ni un symbole, ni une « typographie », ni même une métaphore. C’est un départ, une lecture, une écriture, un jeu.

Concrète et abstraite. La main est trop vivante pour en faire un dessin, une représentation fermée. La main ne peut être séparée du corps.

Les mains ouvrent le livre, le maintiennent ouvert. Le portent.
Le doigt conduit les lignes, à l’apprentissage de la lecture, dans la vieillesse quand les yeux suivent mal.
La main, le doigt servent à toucher, montrer, prendre, serrer, tenir, faire, créer, compter.
La main est souvent associée au geste mauvais, mais, la main retient, rassemble, sauve, rattrape, donne. Protège, guide, aide.

La main. La main c’est le geste. Les gestes du monde pas encore inventé.

Une histoire grande comme la main.
Cela fait donc bien cinq histoires. 5 ou cinq ?
La main pour compter. La mesure de l’homme.
Une logique à soi, en soi.
Une main, cela peut être grand : elle peut désigner une montagne, englober un paysage. Mais une main c’est petit. Quelques billes tiennent à peine au creux de la main.
Une main possède donc du merveilleux.

La main n’est ici ni un symbole (fermé), ni une « typographie », ni même une métaphore. C’est un départ, une lecture, une écriture, un jeu.
Concrète et abstraite. La main est trop vivante pour en faire un dessin, une représentation fermée. La main ne peut être séparée du corps. 

La main est mon outil.

 

2. L’ouvrage présente une histoire principale autour de l’Enfant Branche ainsi que les 5 histoires de la grand-mère ; cela crée différentes temporalités dans la lecture : pouvez-vous nous expliquer l’importance du temps dans votre travail ?

L’écriture est très présente dans cet album.

Tout fait écriture quand on lit et surtout quand on apprend à lire.
Y, des lettres dans les branches. Partout, des lettres. Du sens. Des histoires, des traces.

Lire, écrire, marcher.

Lire, ce serait marcher, avancer sur l’écriture, suivre un chemin dans un pays nouveau.

Les mains, les pieds : l’Enfant Branche trouve des bottes avec lesquelles il va voyager dans une forêt ressac où il rencontre cinq histoires et une Grand-Mère. La Grand-mère n’est pas une vraie grand mère. Le Tigre n’est pas un vrai tigre. La chat est un vrai chat, mais dans une forêt rêvée.
Les mots sont vrais.
Le réel est-il dans le livre ? Où commence la fiction ? A quel moment ?
Le Tigre, qui est une peluche, veut « rentrer », sortir de l’histoire – retourner dans le livre.

L’enfance qui croit encore (aux rêves)
L’enfance qui croît (en rêvant)

Grandir, lire, écrire : 5 histoires de mains, de déploiement, d’arbres.

Les temps sont mêlés. Quand bascule-t-on dans le rêve ?
Ce livre n’est peut-être qu’un ténu moment de rêve, une tranche de nuit.
Ou une longue promenade entre écume et forêt, tout un temps d’apprentissage, une saison d’enfance, une vieillesse tranquille, la lente croissance d’un arbre ou le battement d’ailes d’une tourterelle qui s’envole.
Le temps d’un livre.

Et là encore je m’émerveille de la fabuleuse puissance du livre, du livre qui offre un temps qu’on ne peut inventer nulle part ailleurs.

3. Quelle technique avez-vous utilisée pour illustrer cet album ? (des photos d’esquisses, de collages ou de tout autres travaux préparatoires seraient très intéressants à présenter à nos lecteurs !)

Encres, crayons, collages, découpes, peinture. Les techniques sont très mêlées. 

Cet album est très pictural pour les espaces de rêves, de forêts.
Pour construire les images forestières, je suis partie de l’idée des flaques d’eau en forêt, où le ciel s’inscrit au sol et se mêle aux différentes strates de la flaque.

L’enfant branche est assez réel. Car c’est le seul élément réel, avec son Tigre et les bottes. Le point de départ.

Pour les histoires, j’ai changé de registre pictural afin de me démarquer et aider à basculer à un autre niveau de lecture. J’ai imaginé des images dans l’idée de cabochons (cependant, je n’arrive jamais à rester dans du petit format).

La couverture, c’est le livre dans le livre : le livre qui s’ouvre lorsqu’on ouvre l’album.
Le miroir (les flaques) d’une lecture.

aNNe

9 novembre 2017

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