Interview

Lily a des nénés : Interview de Geoff

Lily a des nénés s’écrit à travers la parole d’une fillette de 10 ans, un choix audacieux pour un homme de presque 50 ans mais avec lequel vous semblez particulièrement à l’aise. L’enfance est-elle un thème récurrent pour vous ?

Non, il s’agit d’une première. Mon travail dans l’animation est à séparer de celui dans la bande dessinée, raison pour laquelle j’ai choisi de me présenter sous pseudonyme. Je viens d’une section des Arts Déco qui était orientée cinéma d’animation d’auteur. Par définition, on n’aimait pas tout ce qui était adaptation de BD… Lily est née d’une réponse à un appel d’offres pour un épisode animé de 26 minutes sur le thème d’une héroïne contemporaine. C’était ma première incursion dans le monde de l’enfance.

La combativité de cette gamine est impressionnante. Vous parlez d’héroïne contemporaine, est-ce que c’est ça, une petite fille de 2019 ? J’ai deux filles, de 7 ans et 9 ans. Je les regarde et les écoute beaucoup.

Un jour, quand ma fille aînée était au CP, je lui ai demandé comment elle voulait s’habiller. Elle m’a répondu qu’elle ne voulait plus mettre de jupes ou de robes. J’ai été profondément choqué qu’une fille de 6 ans puisse déjà dire : « Je ne veux pas montrer mon corps parce que je ne veux pas être embêtée ». Le personnage de Lily est né de cette colère, de ce besoin d’acceptation. Dans l’appel d’offres, France Télévisions disait très clairement : « On en a marre des archétypes féminins ». Ils voulaient inciter des auteurs à imaginer autre chose. Nourri par les réflexions de ma fille, je me suis interrogé : « Est-ce que l’acte héroïque pour une jeune fille aujourd’hui ne serait pas de s’assumer ? » C’est cette perspective qui m’a motivé. Lily est mon premier personnage féminin, elle m’a permis de me dévoiler davantage que si elle avait été un personnage masculin. Le lien avec mes filles est déterminant dans ce projet. C’est une sorte de troisième voix qui évoque des choses que je ne peux pas leur dire autrement qu’ à travers cet album.
Lily a des nénés, c’est donc un mélange de plein de choses, de mon histoire personnelle, et de ce que j’observe du monde aujourd’hui.

Parlons technique. Le mouvement, la vivacité de votre dessin et le choix des couleurs sont déterminants dans l’album. L’ensemble peut paraître assez proche du cinéma d’animation, est-ce volontaire ?

En effet, je voulais un trait qui soit le plus vif possible, parce que c’est ce que j’aime en bande dessinée, comme les carnets de croquis, sans esquisses, avec les erreurs présentes sur le dessin. Pour la couleur, c’était un peu plus compliqué. J’ai essayé de faire des aplats mais ça ne me satisfaisait pas. Alors je me suis tourné vers un outil traditionnel, le pastel à l’huile, que j’utilise depuis toujours pour sa richesse et sa profondeur colorimétrique. Il m’a permis d’obtenir les résultats que je souhaitais. Concernant le décor, il se trouve que la ville existe, mais elle est un peu réinventée, imaginaire, idéale. J’ai été élevé à la campagne et j’ai donc bénéficié d’une enfance très libre où l’on partait avec des vélos, où les parents n’étaient jamais vraiment là et ne s’inquiétaient pas. Je voulais donc que mes personnages soient débarrassés de leurs parents, mais sans les tuer. Je voulais qu’ils puissent aller et venir partout, sans aucune entrave d’adulte. Je les ai donc emmenés très loin, au bord de la mer, dans une station balnéaire un peu idéale.

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