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Actualité
Dernier week-end de janvier
Rencontre avec Bastien Vivès
Comment résumeriez-vous Dernier week-end de janvier ?
Je dirais que c’est l’histoire d’une parenthèse amoureuse entre un homme et une femme lors d’un festival de bande dessinée… C’est un huis-clos avec les trois mêmes personnes dans trois endroits différents durant quatre jours.
Le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, vous le connaissez bien, il a lieu chaque dernier week-end de janvier… Vous y avez d’ailleurs reçu deux prix, deux Fauve, celui de la série pour Lastman et celui de la révélation pour Le Goût du chlore…
Exactement. C’est un festival qui me tient particulièrement à cœur parce que j’y allais déjà avant d’être publié… Ce que j’aime particulièrement dans ce festival, c’est qu’il est à taille humaine, c’est facile de parler avec des gens, de les rencontrer, que ce soit entre auteurs ou entre festivaliers et auteurs… J’ai fait tous les festivals d’Angoulême depuis que je suis auteur de bande dessinée, parfois avec des sélections, parfois sans. C’est un rendez-vous que je ne manque jamais.
Denis Choupin, le héros, est quelque peu en panne d’inspiration… Il ressent une certaine lassitude face à son travail de dessinateur. C’est un thème que vous vouliez évoquer ?
Oui, exactement… C’est une sensation que j’ai vécue…. Quand nous avons fini la série des Lastman, j’étais vidé. Et entre-temps j’ai eu des enfants… C’est pour ça que j’ai voulu travailler avec un scénariste, Martin Quenehen, avec qui j’ai fait Quatorze Juillet puis Corto. Je ne voulais pas continuer à raconter les mêmes histoires tout le temps, j’avais besoin de fraîcheur, je ressentais, comme Denis Choupin, une petite panne d’inspiration. Dernier week-end de janvier c’est un récit que j’avais en tête depuis longtemps. Cela doit faire dix ans que je voulais raconter cette parenthèse amoureuse que j’avais esquissée dans Une sœur, mais je voulais avoir quelque chose de plus adulte, ne plus être dans l’enfance et l’adolescence. Alors, je me suis dit que ça pourrait tourner autour de la bande dessinée au sens plus large : découvrir un milieu, montrer ce que veut dire d’y travailler et questionner les enjeux de cet art. À travers cette histoire, cette histoire d’amour, je raconte la micro-histoire de cet auteur qui n’a plus d’inspiration quand il rencontre cette femme. Mais elle le pousse à se remettre en question, à s’interroger sur son boulot…
Cet album, il parle de vous ?
Clairement. C’est l’album le plus personnel que j’ai fait jusqu’à présent. J’ai rencontré ma femme à Toronto dans un festival de bande dessinée, elle travaillait pour le Consulat et j’ai dû attendre qu’elle rentre pour qu’on vive vraiment notre histoire, en se séparant de nos conjoints respectifs. Et un peu comme Denis Choupin avec Vanessa, je me trouve extrêmement chanceux d’être avec une femme comme elle. Je la trouvais, et la trouve toujours, incroyablement belle, et elle m’a rendu beau en un sens.
Néanmoins, Vanessa ne ressemble pas du tout à ma femme, même si elle la symbolise bien. Elle est élégante, elle a de la classe, de l’humour, on comprend que Denis Choupin soit sous le charme. Et le mari, lui, est dessiné comme un mec canon mais ridicule, ce qui renforce le fait que Vanessa soit intéressée par un mec plus cool comme Denis Choupin…
C’est ce que j’aime dans cette rencontre : à la fin on revient au point de départ et pourtant tout a changé. Tout est devenu possible.
En ce sens, oui, cet album est féministe. Vanessa est très puissante, autonome, mélancolique aussi… Cette bande dessinée, c’est la seule que j’ai faite où il n’y a pas de fantasme, là où, avant, je ne dessinais que ça. Cela faisait dix ans que j’avais cette idée en tête, que je voulais faire cette histoire comme elle est.
Dans Dernier week-end de janvier, vous interrogez aussi la place de la bande dessinée dans le milieu de l’art…
Quand j’ai fait Polina, c’était « l’art est au-dessus de tout ». C’est pour ça que Polina finit seule d’ailleurs, l’art sera toujours là pour te réparer. Et aujourd’hui, je dirais que l’amour est au-dessus de tout. Il m’aura fallu douze ans pour en arriver là, c’est bête, mais c’est ce que je pense maintenant. J’adore la bande dessinée mais la prendre au sérieux lui donne un côté rigolo. Prendre au sérieux le Marsupilami, comme c’est le cas dans Dernier week-end de janvier, fait qu’on se pose la question : est-ce beau ou moche ? Pour les adultes ou pour les enfants ? C’est un art bâtard, toujours au milieu de tout et c’est ce qui fait sa force. Bâtard, c’est peut-être un peu dur, disons que la bande dessinée est un art transversal. À la fois populaire et intello…
La bande dessinée laisse rentrer un peu tout le monde, là où, en littérature, il faut se poser par rapport à d’autres œuvres. Et Denis Choupin, c’est la représentation de l’auteur intégré qui a eu un vrai succès d’estime, et qui maintenant fait des séries et s’est un peu endormi. Il se rend compte qu’il dessine machinalement, qu’il ne va plus aux expos, en librairie… Mais, peut-être que grâce à Vanessa, il se réveille et va jusqu’à s’enthousiasmer pour de jeunes auteurs. Il était dans le côté ronronnant de la bande dessinée et cette parenthèse va le faire renaître en tant qu’homme, mais aussi en tant qu’auteur.