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Actualité
Wannsee, une préface signée Didier Pasamonik
Le journaliste Didier Pasamonik affirme l'importance de rappeler, notamment en bande dessinée, ce fait historique d'ampleur mondiale : la mise en place de la solution finale...
Ressentir l'Histoire
Fait-on de l'histoire avec une bande dessinée ? Soyons sérieux : non. Un historien travaille sur des documents, exhume des archives, resitue tant qu'il le peut les faits du passé, les inscrit dans le temps, dans leur complexité, dans leur contexte.
Ce contexte, c'est celui de la Seconde Guerre mondiale et de ce qui la caractérise : un génocide unique dans l'histoire qui aboutit notamment à la destruction d'une grande partie des Juifs d'Europe. Claude Lanzmann a expliqué, avec raison, toute l’obscénité qu'il y avait à ne serait-ce qu'essayer de « comprendre » ce crime. Dans son film Shoah (1985), « le film le plus anti-spectaculaire que l'on ait connu et réalisé » (Philippe Sollers), il prend soin de ne montrer ni images d'archives, ni images de survivants. « Shoah est un film sur la mort », précise-t-il.
De son côté, Georges Bensoussan faisait remarquer, dans Auschwitz en héritage, le caractère voyeuriste, voire pornographique de certaines représentations des camps - chacun a en mémoire ces images d'archive montrant les monceaux de cadavres charriés par des bulldozers - qui déshumanisaient et avilissaient les victimes. Il ajouta plus tard que l'on ne pouvait par ailleurs pas nier l'aspect trouble, « dans le sens d'un sadisme larvé », qui ressort de l'intérêt quasi pathologique de certains pour ce qu'il appelle une « pornographie du cadavre ».
La séduction esthétique
À cela s'ajoute la séduction du totalitarisme nazi : une idéologie pétrie de scientisme, servie par une propagande efficace avec un logotype - le svastika - d'une lisibilité redoutable, des uniformes impeccables conçus par un grand couturier, un ensemble d'éléments esthétiques qui séduisent jusqu'à aujourd'hui et qui servent encore de nos jours de véhicule pour un antisémitisme globalisé, de plus en plus décomplexé, résolument complotiste, joyeusement négationniste, associant Israël aux vieilles antiennes anti-juives médiévales.
Cet esthétisme doit être interrogé car le dessinateur est comme l'historien : il part du document et, pour les besoins de son storytelling, le retraite, le rend lisible, signifiant. Son matériau a un défaut supplémentaire : les images « parlent », bien au-delà des mots. Les nazis de Wannsee tels que les dessine Fabrice Le Hénanff sont beaux, pas parce qu'il les fait beaux, mais parce que les photos utilisées - qui viennent des nazis eux-mêmes - les montrent évidemment sous leur meilleur profil, dans des lieux prestigieux, et non pas dans la merde de Stalingrad ou de Berlin sous les bombes...
Transmettre
Aujourd'hui, le travail de documentation des historiens est en grande partie accompli. Une quantité importante de témoignages ont été recueillis, et parce qu'à l'heure où, inexorablement, les rescapés - ces saints et martyrs comme les qualifie Lanzmann - disparaissent, il est désormais nécessaire de transmettre.
C'est ce que fait Fabrice Le Hénanff dans Wannsee en se focalisant sur ce moment incroyable où les nazis se réunirent pour organiser la liquidation « industrielle » des Juifs d'Europe, se fixant des objectifs chiffrés (onze millions d'entre eux devaient être rayés de la carte) et des modes opératoires « rentables ». Il faut dire que la Conférence d'Évian, organisée à l'initiative du président des États-Unis, Franklin D. Roosevelt, en juillet 1938, qui devait statuer sur le sort des juifs allemands et autrichiens à la suite de l'Anschluss, n'avait abouti à rien de concret. Les juifs étaient laissés à leur sort. On y avait en quelque sorte ouvert la voie à la « solution finale ».
L'album montre bien que ces brillants « fonctionnaires » avaient soin de dissimuler leur crime avant même de l'avoir perpétré. Un négationnisme en temps réel se mettait en place en prévision de la fin du conflit. Le livre de Fabrice Le Hénanff, Maus de Spiegelman, Yossel de Joe Kubert, Deuxième Génération de Michel Kichka ne sont pas là pour dire l'histoire. Mais ils nous enseignent par un ressenti mieux qu'aucun témoignage, aucun essai ne pourra jamais le faire.
Didier Pasamonik