Actualité

Suites algériennes - 1962-2019

« Je voulais démarrer avec le Hirak, parce que c’est l’élément saillant qui permet de reconsidérer toute cette histoire de l’Algérie contemporaine.»
Jacques Ferrandez

On pourrait presque entendre les personnages parler sur la place des Martyrs, ou les slogans résonner le long du boulevard Che Guevara, un vendredi après-midi de printemps 2019. Jacques Ferrandez est attaché à la vraisemblance de ses personnages. Les obstacles auxquels il les confronte dans Suites Algériennes soulignent à quel point l’Algérie peut être aimée, et à quel point cet amour met les hommes et les femmes face à de brutales contradictions.

Les manifestations pour demander un changement de régime politique qui ont débuté en février 2019 à travers l’Algérie ont changé une partie des récits que l’on entendait sur le pays. Il n’était plus question de violence ou de désespoir, mais de chants, de combat, de jeunesse et de joie.

En partant des événements de 2019, Jacques Ferrandez tisse des liens pour raconter l’Algérie indépendante, étonnement mal connue. Mathilde, Nour et Samia parlent de luttes pour l’égalité des droits, de combat pour un idéal révolutionnaire, de l’époque où Alger était une capitale du tiers monde. Elles montrent les complexités de l’histoire du pays. Mais elles soulignent surtout que certains n’ont jamais cessé de se battre.

En nous poussant à nous intéresser aux luttes de ses personnages, Jacques Ferrandez contribue à donner de l’épaisseur à l’Histoire.

Les récits de Carnets d’Orient, c’est un projet qui a traversé votre vie pendant plus de trente-cinq ans. Comment est-il né ?

Au départ, j’avais le projet de travailler sur les mémoires familiales, d’un côté ma famille paternelle, venue d’Espagne pour se fixer à Alger dans les années 1880, et de l’autre les récits d’enfance de mon grand-père maternel. Il avait quitté le soleil d’Algérie en 1915 pour les tranchées de la Première Guerre mondiale. Tout ce qu’il me racontait de son enfance, je n’avais pas envie de le perdre. Cela a été le point de départ que l’on va retrouver dans Les Fils du Sud.

J’ai créé un personnage de peintre, Joseph Constant, qui raconte son histoire à travers ses carnets, au moment de la conquête et de la première période de la colonisation. Après ce premier Carnets d’Orient, je me suis laissé entraîner. Ce qu’il se passait en Algérie pendant les années 1990, avec, en parallèle, la sortie des témoignages d’appelés et les confessions du général Aussaresses m’ont incité à continuer.

J’ai donc repris un nouveau cycle de cinq albums sur la guerre d’Algérie, avec La Guerre fantôme en 2003, jusqu’à l’indépendance de l’Algérie.

Dans ce nouveau récit, que vous débutez lors du mouvement de protestation de 2019, vous mettez en scène vos personnages dans deux périodes particulières : celle du coup d’État de 1965 et celle de 1988-1991, lors de la montée du Front Islamique du Salut (FIS). Est-ce que ces périodes ont un sens particulier pour vous ?

La période juste après l’Indépendance est très mal connue en France et peut-être même en Algérie. La prise du pouvoir en 1962, le coup d’État de 1965, Alger capitale du tiers-mondisme, le fait que l’Algérie ait accueilli Che Guevara, les Blacks Panthers et les mouvements de libération de tout le continent africain… L’apogée de cette période reste le Festival panafricain d’Alger en 1969, que je pense aborder dans le tome suivant.

2019 et le Hirak résonnent avec les manifestations et des émeutes d’octobre 1988, qui ont fait à l’époque des centaines de morts. Débuter ce récit en 2019 me permettait de renvoyer à 1988, parce que j’ai rencontré des témoins qui m’en ont parlé.  L’idée était, pour une fois, de ne pas travailler de façon chronologique comme je l’ai fait auparavant. Je voulais que ça commence aujourd’hui et qu’on puisse faire de retours en arrière, ce qui permet de faire vivre des personnages à différents âges.

Dans votre récit, qu’on soit en 1988, en 1965 ou en 2019, il y a une sorte de blessure permanente des différents personnages vis-à-vis de ce pays…

L’Histoire témoigne tous les jours de ces blessures. Chez les gens de ma génération, qui sont Français, nés en Algérie, la blessure n’a jamais été cicatrisée, on le voit bien. Et du côté algérien, les désillusions, les déceptions, le sentiment d’avoir été floués.

Il y a de l’amertume chez beaucoup de pieds-noirs et aussi chez beaucoup d’Algériens qui ont dû quitter le pays dans les années 1990. Les personnes qui auraient pu enrichir la société algérienne par leurs compétences et leur dynamisme ont été obligées de partir.

Votre personnage Juliette, une Française qui vient d’arriver en Algérie en 1965 pour aider à reconstruire le pays, souligne les contradictions du personnage de Mathilde. Est-ce que ce n’est pas ça, finalement, l’histoire de l’attachement à l’Algérie, une histoire de contradictions ?

L’histoire a été difficile, douloureuse et cela continue. L’avènement de l’Indépendance n’a pas été conforme aux promesses. Y compris sur la question de l’identité algérienne. Il y a les contradictions avec les allers-retours entre l’arabisation et le maintien de la langue française, la notion de berbérité. La prise en compte ou non de tout l’héritage historique et culturel depuis l’Antiquité. La grande interrogation aujourd’hui pour la jeune génération : l’espoir de construire une vie épanouie dans un pays où les promesses seront enfin tenues.

Suites algériennes

Jacques Ferrandez

Carnets d'Orient

Suites algériennes

Cycle 3 - Première partie - 1962-2019

L’Histoire secrète de l’Algérie, de l’indépendance à aujourd’hui.