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Kong-Kong, un travail à quatre mains bien équilibré

Vincent Villeminot et Yann Autret, les auteurs de la bande dessinée jeunesse Kong-Kong, répondent à nos questions !

Kong-Kong est une bande dessinée réalisée à quatre mains. Vincent Villeminot, vous êtes auteur de romans, Yann Autret, vous êtes auteur et illustrateur jeunesse. Comment avez-vous mêlé vos deux savoir-faire pour trouver l’équilibre entre mot et image dans ce projet ?

Y.A. : Cet équilibre vient de ce qu’il n’y a pas répartition habituelle des rôles avec séparation du texte et du dessin, mais bien un travail à quatre mains à chaque étape : écriture des textes, et adaptation en dessins : J’écris une partie des textes et scénarios, nous adaptons ensemble nos scénarios en dessins et Vincent intervient par ses avis à chaque étape de la réalisation des dessins.

V.V. : J’ajouterai que moi, en tant que romancier, j’écris beaucoup, beaucoup de mots, en général ; et que du coup, ce que je recherche dans la BD, c’est le silence, l’effet visuel – le comique de situation, presque le mime… Du coup, l’essentiel de mon job, c’est d’enlever les bulles que Yann rajoute.

L’histoire se compose en plusieurs saynètes où l’humour est omniprésent. Pourquoi ce parti pris ?

Y.A. : On ne s’est jamais posé cette question. C’était comme une évidence. Peut-être parce que nos auteurs de chevet — je parle pour moi — sont, pour beaucoup, des humoristes. Mais surtout parce qu’on aime rigoler. (Même si l’humour est chose grave !)

V.V. : Ma foi, oui, une évidence. Nous ne voulions pas d’histoires à chutes, mais plutôt des saynètes, effectivement, qui composent une histoire générale (on voit les enfants grandir, leur amitié évoluer, les relations avec le singe se « normaliser »)… mais dont chacune se déguste. Exactement comme des souvenirs d’enfance, dont chacun est une pépite en soi, qui peut se raconter, et dont la collection complète « fait » une enfance.

En mettant en scène deux enfants et un singe géant, le rapport à l’enfance et à l’imaginaire sont au cœur de cette bande dessinée. Ces thèmes revêtent-ils une importance particulière pour vous ?

Y.A. : Faire une chronique de l’enfance, et de l’imaginaire enfantin, c’est aussi parler du monde des adultes (qu’ils deviendront). Mais le singe, lui, est bien réel. Il est bien là, sur son toit. Tout le monde y est habitué, enfants comme adultes. Ces derniers n’en marquent aucun étonnement. Car les mythes de l’enfance nous accompagnent toute la vie.

V.V. : Après, on ne veut pas pour autant mythifier l’enfance. Ce qui nous intéresse chez ces gamins, c’est qu’ils sont drôles, rêveurs, plein d’idées, mais aussi brutaux, blasés, butés… Réels et somme toute réalistes, concrets. Ce qui importe, surtout, à mes yeux, c’est qu’ils ne s’étonnent de rien : l’ascenseur perpétuellement en panne, le gorille géant sur le toit, une fois qu’ils ont compris que c’était ainsi, et bien, ils s’adaptent. Et ça, c’est vraiment un truc que je trouve hilarant : les comportements les plus rationnels que des gens adoptent pour répondre à une situation folle.

On ne voit que très peu les parents d’Abélard et ceux d’Héloïse sont inexistants. Pourquoi cette absence de figures parentales ?

Y.A. : Dans un souci d’épure. Aussi parce que les enfants, quand ils jouent entre eux, quand ils conversent entre eux, sont seuls au monde. Et enfin, sans doute, bien que nous n’en ayons jamais vraiment parlé, sous l’influence des Peanuts de Schulz, qui a adopté ce parti-pris. Mais, contrairement aux Peanuts, d’autres personnages adultes interviennent, marginalement : le boulanger, certains habitants de la tour, et, surtout, Mme Junot. Et d’autres à venir.

V.V. : Puis bon, les parents, c’est assez rébarbatif. Par exemple, quand Abélard joue aux chevaliers, il s’y voit vraiment, il trucide des dizaines d’ennemis, jusqu’à ce que sa mère lui dise de ranger. Or, le massacre est tout de même plus intéressant que le rangement.

 

La plupart des saynètes se passent dans l’immeuble où emménage Abélard. Comment avez-vous géré, d’un point de vue scénaristique et graphique, cette forme de huis clos ?

Y.A. : C’était l’idée même de départ : un huis-clos, et ce, dans un environnement (des couloirs d’immeuble moderne) particulièrement nu. Ce qui a influencé le parti-pris d’épure graphique et, à l’unisson, le laconisme dans l’écriture (En ce qui concerne les scènes de huis clos.).

Mais, par souci de contraste et de rythme, nous nous échappons régulièrement de ce huis clos par des scènes de rêveries des personnages, rêveries le plus souvent épiques, qui sont plus fouillées, graphiquement, plus touffues. Kong-Kong, lui-même, est traité de façon à être inquiétant, de prime abord. Ainsi, les registres se mettent en valeur les uns les autres et se renforcent.

V.V. : Le huis clos est par ailleurs relatif, parce qu’il y a le toit, et les rues, canyons entre les tours… Mais c’est vrai que j’adore le boulot de Yann, pour en faire un truc à la Sempé : des villes énormes, et des personnages qui pourraient être minuscules, donc négligeables – mais c’est précisément ce dérisoire qui les rend formidablement attendrissants, d’autant plus peut-être dans tout ce béton.

Pourquoi avoir choisi ce clin d’œil au célèbre gorille du cinéma ?

Y.A. : À l’origine, Héloïse était amie avec un dinosaure. Mais, cette grosse bête sur un toit nous a évoqué irrésistiblement King-Kong. Alors, nous avons remplacé le dinosaure par ce gros singe qui s’appelle Kong-Kong. Son homonyme à une lettre près, mais cette lettre change tout. Néanmoins, même si les clins d’œil parodiques devenaient dès lors inévitables, il ne s’agit pas d’une parodie de King-Kong, ni même d’une histoire de monstre, mais d’une petite chronique de l’enfance.

V.V. : Et puis, c’est très beau, un gorille. Velu, élégant, spectaculaire. Avec des grosses narines. Mais on a mis quand même des dinosaures, et une baleine géante, parce que c’est beau aussi.

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