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Les Gorilles du Général, de la réalité à la fiction

Afin de lever le voile sur une petite part des incartades historiques des Gorilles du Général, vous trouverez ci-dessous, un petit guide non exhaustif du jeu des « 7 Erreurs » auquel j’ai pris plaisir à participer.
Mais n’en déduisez pas pour autant que cette histoire n’est pas vraie.
La preuve : une bonne partie en est inventée...
Xavier Dorison
GARE AUX GORILLES !
À qui, ou à quoi, les héros de cet album doivent-ils leur surnom ? Loin d’être péjoratif, le terme gorille est très populaire dans les années cinquante. Il a été créé en 1954 par Dominique Ponchardier, auteur de romans dans la Série Noire (sous le pseudonyme d’Antoine Dominique), pour son personnage imaginaire d’agent des services secrets, une véritable « armoire à glace » jouant volontiers des poings et des plombs. C’est sans doute en raison de cette carrure que le surnom d’un espion de fiction passa à celui de gardes du corps… bien réels !
Au nombre de quatre, comme les trois mousquetaires, les gorilles assurent la protection rapprochée du général de Gaulle. Leur histoire commune est déjà ancienne : elle remonte à la création du RPF (Rassemblement du Peuple Français) en 1947. Au sortir de la guerre, ils ont été recrutés afin de veiller au bon déroulement des déplacements du Général et, surtout, à la sécurité de ses meetings et réunions publiques. Leur rôle s’étend à d’autres personnalités du mouvement, comme André Malraux ou Jacques Soustelle. À partir de 1953, les gorilles s’effacent lors de la mise en sommeil du RPF et pendant la « traversée du désert » de l’homme du 18-Juin. Mais lorsque celui-ci revient au pouvoir en mai 1958, il s’avère urgent de remettre en place et de renforcer sa protection. Jacques Foccart, homme de confiance du Général, se tourne alors en priorité vers ceux qui assuraient cette tâche quelques années auparavant : hommes de l’ombre, les gorilles reviennent en pleine lumière.
GEORGES BERTIER
Des quatre gorilles du général, c’est à coup sûr lui qui, par son physique, correspond le mieux à l’idée que l’on se fait de la fonction.
Dans la réalité, Roger Tessier (1925-2017) découvre très jeune comment sa carrure imposante peut être un atout pour sa vie future ; manœuvre, terrassier, il pratique la boxe avec assiduité. Par un proche, il rejoint en 1947 le service d’ordre du RPF. C’est d’abord contre les militants communistes que le jeune Tessier joue des poings lors de collages d’affiches ou en protégeant, à la sortie des meetings, les orateurs du mouvement.
Tout naturellement, quand De Gaulle revient au pouvoir en 1958, Tessier est intégré à l’équipe chargée de la protection rapprochée du Général. Dans un livre de souvenirs, il décrit ainsi sa tâche : « Tout d’abord, encadrer le Général lorsque celui-ci, selon une habitude que ses familiers n’hésitent pas à qualifier de déplorable, descend de son estrade pour fendre la foule et serrer des mains. Ensuite, détecter les suspects et repousser d’une poigne ferme les admirateurs trop enthousiastes (…). En cas de bousculade ou d’attentat caractérisé, plaquer le Général au sol en lui assurant un abri de nos corps, consigne qui suscitera cette réflexion ironique du président de la République : « Si je ne meurs pas sous les coups du terroriste, je suis sûr de finir étouffé par mes gardes du corps ! » (J’étais le gorille du Général, éditions Perrin).
Contrairement au personnage de Bertier, ni les investissements dans une salle de sport, ni le moindre problème de couple ne furent jamais documentés concernant Roger Tessier.
MAX MILAN
La carrière de Raymond Sasia (né en 1926) – dont est évidemment inspiré le personnage de Max Milan – tient du roman d’aventures : engagé adolescent dans la Résistance, héros de la libération de Paris, sérieusement blessé, il reçoit la Croix de guerre sur son lit d’hôpital des mains du général Chaban Delmas. Ceinture noire de judo, parachutiste confirmé, il est malgré son jeune âge recruté par le SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, ancêtre de l’actuelle DGSE). Il ouvre une salle de sport, l’Alhambra, où des militaires, des paras et des agents du SDECE viennent faire des stages. Il y rencontre Jacques Foccart qui prépare dans l’ombre le retour au pouvoir du général de Gaulle. Le Chanoine va ouvrir de nouvelles portes à Sasia : d’abord celle des services d’ordre qui assurent la sécurité des meetings gaullistes, puis celle de la police en le nommant chargé de mission auprès du directeur de la Sûreté nationale. Sa mission ? Réorganiser l’entraînement de la police dans le domaine du tir. Expert en la matière, il publiera plusieurs livres sur le sujet et modifie même un modèle de revolver Smith & Wesson, faisant raccourcir le canon et supprimer la hausse afin de pouvoir dégainer plus vite. Un modèle qu’on appellera : « le Sasia » !
Tout naturellement, Foccart fait appel à lui quand il s’agit de remplacer parmi les gorilles René Auvray, brutalement licencié. D’autant que Sasia a désormais un atout supplémentaire dans son CV : au terme d’un stage de six semaines à Quantico (Virginie), il a reçu le diplôme d’instructeur de la prestigieuse Académie du FBI, des mains de son tout-puissant directeur, John Edgar Hoover. Une nouvelle fois, pour des questions de cohérence, le scenario décale de quelques mois ce stage américain.
Traumatisé parce qu’il a failli tuer un innocent lors d’une opération de protection du Général, Max Milan songe à démissionner. Rien n’indique que cet épisode, imaginé par les auteurs, corresponde à la réalité. Dans son livre de souvenirs (Mousquetaire du Général, éditions Guéna) Raymond Sasia n’évoque aucun état d’âme sur ses missions.
ANGE SANTONI
Derrière le personnage fictif d’Ange Santoni se cache Paul Comiti (1921-1997), le « chef » des gorilles de l’Élysée, un Corse plus vrai que nature appelé à jouer un rôle majeur dans la vie du mouvement gaulliste.
À l’âge de 19 ans, Comiti rejoint les forces navales de la France libre et s’illustre particulièrement en Méditerranée orientale. Après des mois passés en mer, il est victime du scorbut en 1943 et perd toutes ses dents. Un épisode douloureux rappelé dans le scénario par son collègue Zerf (page 31). Comme d’autres, il adhère dès 1947 au RPF, accompagne l’essor puis le déclin du mouvement ; en 1958, il rejoint l’équipe chargée de la protection rapprochée du général de Gaulle lorsque celui-ci revient au pouvoir.
Nommé commissaire de police, on lui propose en 1960 la présidence du SAC, lorsque son leader, Pierre Debizet, doit se retirer pour raisons de santé. Pour ne pas compliquer la lisibilité des événements, les auteurs ont choisi d’anticiper d’une année cet épisode ; Santoni-Comiti cumule ainsi dès l’origine ses fonctions au SAC et son activité de gorille.
Excellent organisateur, ouvert sur l’extérieur et plutôt loquace, Comiti entretient des rapports cordiaux avec la presse. Il passe même pour être un bon fournisseur d’anecdotes et de propos off, dont les journalistes sont évidemment friands. Pour donner davantage de « chair » au personnage, le scenario nous le présente souvent en famille et imagine la présence d’un fils parmi les appelés du contingent servant en Algérie.
ALAIN ZERF
Sous ce nom, on devine la personne d’Henri Hachmi Djouder, né en 1920 à Ait Méraou (Algérie), mort à Hyères en 2014.
Né de père kabyle et de mère française, Djouder s’engage dans la marine nationale et rejoint les Français libres en 1943. Le 6 juin 1944, sa compagnie de fusiliers marins forme l’essentiel du commando Kieffer, les 177 soldats français qui participent au débarquement en Normandie sur la plage d’Ouistreham. Lui-même est parachuté ce jour.
Dans cet album, Zerf-Djouder incarne donc l’esprit de la Résistance et l’histoire de ces hommes tiraillés entre deux cultures, celle de la France… et celle de l’Algérie. Pour « étoffer » le personnage, le scénario invente les personnages de sa sœur et de son beau-frère, restés à Mostaganem. Il lui offre aussi une culture classique, lui faisant même donner la réplique au Général en complétant, au Théâtre de France, la tirade de Britannicus que le chef de l’État vient de déclamer (voir page 62). Une scène émouvante, mais à la vérité peu plausible…
JEAN BRÉMAUD
Lorsque l’équipe de protection rapprochée du Général est formée en 1958, celui-ci, qui répugne à l’idée d’avoir des gardes du corps en permanence auprès de lui, insiste pour que l’on se limite à quatre individus. René Auvray (alias Jean Brémaud) est le quatrième mousquetaire aux côtés de Comiti, Tessier et Djouder.
Pourquoi est-il brutalement remplacé, cédant du jour au lendemain sa place à Raymond Sasia (Max Milan dans la BD) ? Comme l’histoire ne le dit pas (est-ce un secret d’État ?), les auteurs ont choisi, tout en maintenant un certain flou, une thèse qui a le mérite de la cohérence. Brémaud a fauté, a transgressé l’impératif de réserve et de discrétion que doivent observer les gorilles. Il est vrai néanmoins que, pour le remplacer, Foccart (le Chanoine) saisira l’occasion de professionnaliser davantage la protection du chef de l’État et recrutera Raymond Sasia, tout juste auréolé de son diplôme du FBI.
PÉPÈRE
On lui donne du « Mon général » ou « Monsieur le président » ;
on le connaît comme le « chef de la France libre » ou « l’Homme du 18-Juin » ; on le surnomme « le grand Charles » ou encore « Charlot » ; mais pour ses gardes du corps, il est effectivement « Pépère » ! Un surnom qui n’a rien de péjoratif, affirment-ils.
De facto, l’attachement et le dévouement de ses gardes du corps pour leur illustre employeur n’ont jamais fait le moindre doute.
En 1958, de Gaulle revient au pouvoir sur un certain malentendu, car les partisans de l’Algérie française, y compris le Chanoine et les hommes de son réseau, sont persuadés que lui seul peut conserver les sept départements d’Algérie dans l’unité nationale. Or, très rapidement, le président comprend que, pour sortir de ce guêpier, il faudra laisser, d’une façon ou d’une autre, le choix de l’autodétermination aux Algériens. Il devient ainsi la bête noire, voire l’homme à abattre, tant pour le FLN que pour les partisans de l’Algérie française.
D’autres aspects de la personnalité du Général, tout aussi véridiques, sont mentionnés par le scénario : ainsi le vif intérêt qu’il porte au football (page 28), la verdeur de son langage
(page 54), la profondeur de sa culture littéraire (page 62),
le mépris qu’il porte à la classe politique et à la plupart de ses ministres, exception faite d’André Malraux, le « génial ami » dont il sollicite souvent l’avis. Mépris, ou défiance, qui le conduit à demander à tous les membres de son gouvernement, lors d’un conseil des ministres, une lettre explicitant sans la moindre ambiguïté leur position sur l’Algérie.
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