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Extases, de JeanLouis Tripp : Une bande dessinée nommée désir…

Après Magasin Général, Jean-Louis Tripp nous livre un témoignage sincère et intime de sa vie sexuelle.

 

Où sont les hommes, dans la BD ?

Je ne parle pas des hommes aventuriers, des hommes guerriers, des hommes nouveaux pères, des hommes un peu losers ou des hommes séducteurs. Ceux-là remplissent des milliers de cases dans l’édition graphique contemporaine. Mais où sont les hommes, dans la BD, quand il s’agit de parler d’intimité ? De leur rapport à leur sexualité, à leur virilité, à leur désir, à leur plaisir ? 

La « chose » est pourtant partout dans les rayons de librairie : Martin Veyron, Milo Manara, Georges Pichard, Alex Varenne, Guido Crepax, Tom of Finland, pour n’en citer que quelques-uns, ont marqué – et chauffé – les esprits de milliers de lecteurs et lectrices (moi comprise) avec leurs ouvrages explicites. D’autres, comme Reiser ou Wolinski, nous font rire avec leurs obsessions. Robert Crumb ou Dave Cooper sont des génies de la narration de la névrose sexuelle. Mais l’intime au masculin, raconté sans ambages, et sans énormes seins, lui, est plus rare. Si depuis quelques années, les femmes ont heureusement accès, notamment grâce à Internet, au travail de femmes artistes, auteures ou essayistes qui reprennent en main le discours sur le plaisir et le désir féminin, combattent joyeusement les stéréotypes et offrent des représentations diverses de l’identité féminine, les hommes, eux, n’ont pas de pot. On continue à leur dire : « Bande et tais-toi. » On leur dit : « La sexualité masculine, c’est hyper basique », « Un homme a toujours de la libido », « C’est plus facile sexuellement d’être un homme que d’être une femme », « Un homme, ça pense avec sa b… » Bullshit. Le rapport masculin au corps, au désir, au sexe ou à l’amour est merveilleusement complexe, particulier et riche. Et c’est ce que raconte Jean-Louis Tripp dans son Extases.


Il se met à nu. Ses premières masturbations, sa première fois, les séances de branlette en groupe, les expériences bisexuelles, l’ennui au lit, la jalousie ou encore sa première « orgie » sont racontés avec simplicité, humour et sensibilité. Ce n’est pas un catalogue (de la Redoute) de sa vie sexuelle, encore moins un tableau de chasse. Mais une exploration de son parcours, de son rapport à son sexe et à l’autre sexe. Jean-Louis Tripp dessine son Éros, son univers érotique et fantasmatique, pourtant on ne se sent jamais voyeur. À le lire, c’est comme si on passait la nuit avec lui, et qu’il nous racontait, pas toujours de façon chronologique, ses souvenirs extatiques, parfois en riant, parfois avec des silences gênés, parfois ému aux larmes. Et il nous autorise, nous lecteurs, à nous pencher sur notre propre parcours sexuel. Il dit, à vingt ans : « J’aurais voulu être pris, être un objet de désir. » On se rappelle alors qu’en tant que jeune femme, au même âge, on voulait devenir un sujet de désir, et non plus un objet. Quand il raconte le premier sex-toy acheté, avant les loveshops, avant les objets design, on se souvient, en se marrant, du sien, de premier godemichet.
 

Un truc immonde imitation « réaliste », avec la couleur chair et les veines, et qui sentait le pétrole. Et on se dit alors que le XXIe siècle est une chouette invention. Si le dessin de JeanLouis Tripp est explicite, il n’est jamais grossier. Les métaphores, les personnages fictifs (notamment un fabuleux satyre) et la mise en scène des pensées du héros nous permettent de voir le sexe tel qu’il est : non pas le frottement d’organes génitaux ni la simple sollicitation de zones érogènes, mais quelque chose de bien plus puissant, de joyeux, et aussi de flippant. Quelque chose de spirituel, mais sans dieux ni cérémonies. Quelque chose qui nous dépasse. Et heureusement.

Camille Emmanuelle,
Journaliste spécialisée dans les questions de sexualité, de culture érotique, de culture porno et de genre.

Quatre questions à Jean-Louis Tripp

1/ Qu’avez-vous trouvé le plus difficile, dessiner les sentiments ou dessiner le sexe ? 
Dans ce que j’essaie de faire, l’un ne va pas sans l’autre et, curieusement, je ne trouve difficile ni l’un ni l’autre. Ce livre est sans doute le plus facile que j’ai eu à faire de toute ma vie. Ce n’est pas au niveau de la réalisation que réside la difficulté. Ce qui est difficile, c’est lorsque, par moments, je réalise ce que je suis en train de faire. Là, il y a une espère de vertige face à ce degré de mise à nu, à la mise à disposition du public de choses qui jusqu’ici étaient de l’ordre du privé. Au jugement qui, inévitablement, s’ensuivra. Je ne sais pas trop comment je vais m’arranger avec ça. Cependant, je pense que ce livre est arrivé parce qu’il le devait. Jamais je n’ai été aussi heureux dans mon travail. Magasin général a été un grand bonheur pendant dix ans, mais là, pour Extases, je suis seul.

2/ Vous êtes-vous autocensuré ?
Non. J’ai protégé, autant que possible, les autres personnages. Mais je m’oblige à aller au bout de ma démarche et dans les tomes suivants, on va explorer pas mal de facettes de la sexualité. Ce n’est pas toujours simple. Il y a toujours en arrière-plan une petite peur du jugement, mais j’ai décidé d’assumer car je suis arrivé à un stade de ma vie où je crois qu’il était important pour moi de le faire, et il me semblerait un peu vain de n’assumer qu’à moitié.
 

 
3/ Vous racontez que votre éducation communiste n’était pas forcément hédoniste. Êtes-vous d’accord avec l’idée que le communisme a ce point commun avec le catholicisme : une vision parfois coupable – voire pudibonde – du corps et de la sexualité ?
Les communistes de cette époque, les années soixante, étaient encore très marqués par le puritanisme stalinien. Dans le communisme stalinien, comme dans la chrétienté, on n’est pas là pour rigoler. On est là pour travailler au bonheur de l’humanité, dans un cas avant, dans l’autre cas après la mort. Mais dans le bouddhisme non plus, on ne rigole pas trop. C’est un peu comme si le bonheur et le plaisir n’étaient pas compatibles, comme si le bonheur était profond et le plaisir futile. Ce que, pour ma part, je récuse.
 


4/ Que diriez-vous à un jeune homme qui commence aujourd’hui sa vie sexuelle ?
Que l’idéal est d’être amoureux, mais bon, comme ça ne se commande pas et que ce n’est pas toujours le cas, au moins, de ne pas se prendre pour une pornstar, d’être tendre, doux, gentil, de prendre le temps de la découverte et d’être attentif au plaisir de sa ou son partenaire.