Interview

Repères, 2 000 dessins pour comprendre le monde par Jochen Gerner : un tour de force graphique !

Chaque semaine depuis 2014, Jochen Gerner explique en bande dessinée dans le journal le 1 différentes notions qui permettent de mieux comprendre l’histoire, la science, l’économie, la politique, l’actualité, pour ne pas dire le monde ! Nous avons posé 5 questions à l'auteur de Repères, 2 000 dessins pour comprendre le monde, afin de mieux appréhender son projet et la transition du support journal à l'objet-livre.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le concept des « Repères », et la naissance de la collaboration avec le 1 ?
J’ai été contacté au printemps 2014 pour participer à l’aventure éditoriale d’un nouveau journal. Il s’agissait de répondre à une commande hebdomadaire de planche illustrée, basée à chaque fois sur une thématique spécifique.
Cela m’intéressait car cette expérience de presse paraissait vraiment nouvelle. Le journal ressemble à une grande affiche pliée, construit avec une maquette élégante et rigoureuse. Là, se confrontent des textes de journalistes, de spécialistes, d’écrivains, scientifiques ou artistes. Et les Repères tentent de synthétiser des faits, des chiffres, l’histoire d’un sujet, toute une liste d’informations précieuses mais pas forcément évidentes à intégrer en parallèle avec les autres articles. Il y a toujours environ 12 à 15 repères dans chaque planche. Le dessin, par le biais de pictogrammes ou petites saynètes, tente d’éclairer et de rendre plus fluide la lecture de ces données. 
C’est un peu une maquette dans la maquette même du journal, puisque je dois construire un équilibre idéal entre le dessin et le texte. La planche ne doit être ni trop dense, ni trop minimaliste. J’alterne donc certaines vignettes assez techniques avec d’autres dessins plus synthétiques. C’est une histoire de rythme visuel, mais également un principe narratif assez délicat : didactique et léger, sérieux et parfois humoristique.

Sur quels thèmes avez-vous eu le plus de plaisir à travailler ? Quelle était votre méthode de travail pour chaque sujet ?
À priori, je pourrais dire que les thèmes historiques permettant de faire surgir des iconographies très spécifiques, me plaisent particulièrement.
Et je pourrais dire également que j’apprécie beaucoup les thèmes liés à des territoires géographiques bien précis, ou à l’art, l’architecture. Mais je me suis rendu compte que les thèmes les plus éloignés de mes centres d’intérêts habituels (l’économie, les dirigeants mondiaux, certains faits de société) me faisaient réfléchir beaucoup plus directement à la nature même de cette rubrique : soit comment faire communiquer une liste de données aux lecteurs de la façon la moins rébarbative possible.
Ainsi, ces sujets-là sont très excitants car je vais tenter d’aller chercher une documentation iconographique nouvelle. Dessiner des grilles économiques mais aussi jouer avec des caractères typographiques ou le dessin d’un visage.
Chaque fin de semaine, je découvre le sujet de la planche à réaliser pour la semaine suivante. J’ai une liste de phrases, avec parfois des liens vers des sites internet. Puis, sur la base de mots-clés, je commence à rechercher tout un ensemble d’image pour chaque donnée, et beaucoup ne seront pas retenues au final. Mais c’est toujours en parcourant toutes ces images que me viennent les idées de dessins. L’ensemble de cette documentation me donne en tous cas l’esprit général des Repères.
Lorsque j’ai réalisé le crayonné de ma planche, je l’envoie à la rédaction pour vérifier qu’il n’y a ni coquilles ni contresens.

Est-ce que vous ne vous sentez pas à l'étroit dans le cadre proposé par le 1 ? N'est-ce pas un exercice trop contraignant ?
En tant qu’oubapien (membre de l’Oubapo, Ouvroir de Bande dessinée Potentielle), j’ai toujours apprécié les contraintes. Le format bien précis de la rubrique dans le journal, la thématique imposée, certaines informations arides… tout ceci va au contraire me fournir l’essence qui alimentera mon envie de dessiner. C’est une sorte d’exercice, de protocole de travail avec ses règles, mais c’est tout à fait excitant et enrichissant. Un peu comme si je n’avais plus qu’à dessiner une architecture complètement libre sur une structure et des fondations solides.
Et depuis 3 ans, je garde toujours la même envie de réaliser ces planches. Parfois, pour cause de voyages ou de commandes simultanées trop importantes, je laisse ma place à d’autres dessinateurs qui se permettent de penser à leur manière, très spécifiquement, leur propre planche de Repères.

Lors de la réalisation de l’album, y a-t-il eu des ajouts par rapport à ce qui est paru dans le 1 ?
Il n’y a pas eu d’ajout. Bien au contraire, nous avons dû réaliser une sélection parmi l’ensemble des planches réalisées, pour ne garder que les sujets les plus appropriés. Certaines planches n’ont pas été retenues car elles pouvaient provenir de numéros thématiques trop particuliers. La différence principale avec la parution dans le journal le 1 vient de la présentation de la planche. Dans le journal, le format de cette rubrique est très vertical. Mais dans le livre, la rubrique se compose de 2 planches disposées sur une même double page. Le livre retrouve en fait la composition initiale de ma planche originale : une double page composée sur une même feuille de papier posée à l'horizontale. Dès l’origine, j’avais choisi de dessiner ainsi pour faciliter mon travail d’écriture et de dessin. Plus un format est vertical, plus il est difficile de dessiner au sommet de la planche…
Mais peut-être que j’imaginais aussi déjà l’avenir éditorial de ces planches ?

Enfin, pouvez-vous nous dire un mot du choix de l'illustration de couverture ?
J’ai réalisé le dessin de couverture en reprenant une vignette réalisée pour une planche de Repères sur l’exploration des mers et océans, parue en juillet 2016. Il s’agit du navigateur Vasco de Gama qui a découvert l’Asie en 1498. Il me semble que cela reprenait bien l’idée de découverte, d’apprentissage, d’histoire mais également d’aventure. Signifier avec un seul dessin l’idée de voyage vers la connaissance. Le fait qu’il soit muni d’une longue vue renforçait encore plus la notion visuelle : l’observation simultanée des horizons lointains et des détails les plus microscopiques. En fait, le principe même des Repères du journal le 1...
En 4e de couverture figure Ptolémée, qui situait la terre au centre de l’univers (168 après J.-C.). Et en illustration intérieure de l’avant-propos, un Magellan de 1521, dardé de flèches, semble encore ironiquement désigner l’océan « Pacifico » tout en invitant à entrer dans le livre. Ce livre se propose ainsi de parcourir le monde pour mieux le comprendre, d’une façon inédite.

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