Interview

Archive Interview : Tardi raconte « Le Cri du peuple »

Pour Casterman, Tardi évoque ses méthodes de travail et son regard sur la Commune de Paris.

Casterman : Le Cri du peuple est adapté d’un roman de Jean Vautrin, comment se déroule concrètement votre collaboration avec lui ?

Jacques Tardi : C’est moi qui réalise l’adaptation, Jean Vautrin n’y participe pas au jour le jour, il n’intervient pas comme un scénariste. Cela dit, il m’arrive fréquemment de l’appeler lorsque je rencontre un problème technique d’adaptation, ou lorsque je souhaite m’écarter un peu du roman en privilégiant un personnage ou un lieu, par exemple. Nous en parlons ensemble, nous mettons au point des « combines » ou des séquences. La bande dessinée a des exigences particulières par rapport à la littérature, pour tout ce qui touche à la psychologie notamment, difficile à illustrer, ou encore pour les parties dialoguées. Dans un livre, ce n’est pas un problème de consacrer tout un chapitre à une conversation dans un lieu figé. Dans un album, il est pratiquement impossible de consacrer plus d’une planche ou une planche et demie à une telle scène, ce serait ennuyeux. Cela oblige à passer par des artifices : faire évoluer un personnage dans l’espace par exemple, dans des décors différents, tout en fournissant au lecteur les informations indispensables à la compréhension de l’intrigue. Au total, j’ai conservé 90% de la matière du roman.

Casterman : Le Cri du peuple témoigne d’un gros travail sur le langage populaire, vous y avez contribué ?

Jacques Tardi : Il y a beaucoup d’argot dans le roman de Vautrin, mais moi, j’en rajoute encore à chaque fois que je le peux ! J’ai à portée de main une édition ancienne du dictionnaire argot-français, que j’utilise énormément. Un notaire, par exemple, c’est un « entifleur à la cymbale » , c’est beau, non ? Mais attention, il n’y aura pas de lexique à la fin du dernier album. Si le sujet vous intéresse, à vous de dénicher un dictionnaire et de vous débrouiller tout seul…

Casterman : Travailler sur cette époque de l’histoire de Paris vous a-t-il demandé un gros effort de documentation ?

Jacques Tardi : J’ai accumulé de la documentation sur la Commune pendant une bonne année avant de commencer à dessiner. C’étaient les débuts de la photographie, il existe donc des documents visuels de cette époque, même si la physionomie du Paris d’alors ne ressemble guère à celle d’aujourd’hui. Il faut s’imaginer par exemple la butte Montmartre comme un coin de campagne, avec des moulins à vent… Pour les uniformes, les armes, ce genre de choses, j’avais moins de contraintes documentaires : les Communards avaient des tenues vestimentaires assez fantaisistes et dépareillées, c’était un peu n’importe quoi…

Casterman : Avant de travailler sur Le Cri du peuple, vous étiez familier de l’histoire de la Commune de Paris ?

Jacques Tardi : La période m’intéressait, oui. C’est un épisode finalement peu connu, peu enseigné, alors qu’il s’agit vraiment d’une page honteuse de l’histoire. Entre 20.000 et 30.000 morts, une véritable boucherie. Je ressens à ce propos la même indignation que pour 14-18, c’est du même ressort. En outre, la Commune de Paris me paraît être un thème très contemporain, alors qu’on parle aujourd’hui beaucoup de démocratie directe : c’était vraiment le cas à l’époque, les gens prenaient en main leur destinée et, parce qu’ils se sentaient trahis par les dirigeants, refusaient de laisser les politiciens décider à leur place. De ce point de vue, malgré le bain de sang, la Commune a laissé des traces : beaucoup de mesures et d’idées nouvelles intéressantes – éduquer les jeunes filles, brûler la guillotine – ont finalement été appliquées ultérieurement.

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