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Face au mur

60 piges – 25 de cabane – 15 de cavale.

D’après une histoire vraie.

HISTOIRE D'UNE RENCONTRE

Tout commence en janvier 2012, lorsque Laurent Astier se rend à la Maison Centrale de Saint-Maur pour animer un atelier bande dessinée. D’emblée, ce spécialiste du polar prend une résolution, il n’utilisera pas dans ses oeuvres les histoires qu’il pourrait entendre là-bas. Ce jour-là, sur neuf inscrits, un seul est présent : Jean-Claude Pautot. Ce dernier peint depuis plusieurs années déjà. La discussion s’engage facilement, s’éloigne volontiers des considérations artistiques et, en trois heures, les deux hommes commencent à sympathiser. D’ateliers en ateliers, ils se rapprochent, Jean-Claude revient sur son parcours et se montre généreux en anecdotes. Avec une telle matière première, l’envie de réaliser ensemble une bande dessinée s’impose rapidement, au diable les résolutions ! Elle sera une fiction, mais dont toute ressemblance avec des personnages existants ne sera pas tout à fait fortuite…

 Laurent Astier et Jean-Claude Pautot

UN POLAR ENGAGÉ, UN MONDE EN TRANSFORMATION

Plongée intime

La co-écriture de Face au mur avec un authentique malfrat donne au livre son éclairage unique. Les deux auteurs ont choisi de raconter ce parcours de l’intérieur. La bande dessinée offre alors un point de vue fort, engagé et inédit. Une immersion complète qu’on ne retrouve guère qu’en littérature ou, plus rarement, au cinéma. Le tandem accomplit en images ce qu’Edward Bunker a réussi en prose : une fiction policière où perce continuellement le vécu.

Les deux faces d’une même pièce

Pour Astier et Pautot, l’univers du crime est un négatif de la société civile. Dans un monde libéral, les bandits ne sont rien d’autre que des hommes d’affaires aux moyens illégaux. Le virage ultralibéral a ses conséquences sur les pratiques délictuelles. Le héros de Face au mur assiste à cette mutation de l’économie qui sonne le glas du banditisme traditionnel. Avec les années 1990 et les nouveaux dispositifs de sécurité, le temps des grands braquages est révolu. Finies les attaques de banques ou de convois de fonds, l’argent est sur le point de se dématérialiser et les organisations criminelles se tournent vers d’autres types d’activités.

Des hommes d’honneur

Dans l’imaginaire commun, les pirates ont toujours un code de l’honneur, une déontologie particulière. Le gangstérisme du xxe siècle, c’est aussi un certain sens de l’éthique. Les truands ont une morale bien à eux, à laquelle ils sont farouchement attachés. Si Laurent Astier et Jean-Claude Pautot ne font aucunement l’apologie des pratiques, ils savent souligner ces valeurs fortes qui contrastent avec l’évolution d’un monde de moins en moins scrupuleux à cet endroit. La matière réelle qui forme Face au mur permet d’attester les surprenants élans vertueux de ces hommes en marge.

Une critique du système carcéral

Les établissements pénitentiaires constituent le fil rouge de Face au mur. Ils rythment la narration, comme un refrain au retour inévitable. D’Institut Public d’Éducation Surveillée en Maison d’Arrêt, Laurent Astier montre la réalité des lieux, détaille l’intérieur des cellules et la disposition interne des espaces avec ses vues aériennes des bâtiments. Le propos graphique est éloquent. En fin lecteur de Foucault, armé d’une solide documentation, Astier montre comment l’architecture crée l’enferment physique et cérébral. L’expérience et le témoignage de Jean-Claude Pautot à cet égard confirment cette impression visuelle. Il décrit la prison comme une broyeuse d’humains, « la mangeuse d’hommes » dit-il. Il soulève cette question : que cherchons-nous à cacher lorsque nous cachons nos détenus ?

CHEMINS DE TRAVERSE ET FIGURES IMPOSÉES

Monologue intérieur, de l’autre côté des barreaux

Face au mur marque sa singularité forte en donnant la parole à ceux qui en sont généralement privés. Le personnage central, le détenu, est ici le narrateur. Toute l’histoire est bercée par un récitatif au verbe fleuri et expressif. Laurent Astier introduit du littéraire dans sa bande dessinée en captant et retranscrivant la « musique » de Jean-Claude Pautot. Les métaphores s’enchaînent, traduisent la gouaille du personnage, colorent les images d’une vitalité brute.

Bande dessinée à fragmentation

Le récit est découpé en sept chapitres non chronologiques. Cette construction donne un corps tout particulier à l’oeuvre et rappelle au lecteur des montages comme ceux de Tarantino (Ed Bunker, dont Laurent Astier revendique l’infl uence, a d’ailleurs joué Mr Blue dans Reservoir Dogs).

Chaque épisode tient à la fois de la nouvelle et du feuilleton. Les allers-retours temporels signent l’agilité d’un romancier hors pair. Ils sont utilisés comme autant de couches qui épaississent progressivement le personnage, façonnent le propos. La fluidité de ces flashbacks est permise par le jeu chromatique mis en place par Laurent Astier : à chaque époque sa tonalité distinctive.

Un polar pur jus

Cette structure fragmentaire permet à Laurent Astier d’offrir un hommage au genre dont il est passé maître, le polar de gangster. Mais si la mythologie littéraire et cinématographique est toujours affleurante, elle est sublimée par l’expérience directe de Jean-Claude Pautot.

Chaque chapitre illustre ainsi une figure imposée du genre : l’évasion, le casse, la cavale…

Le trait au couteau d’Astier renvoie à ses modèles : Caniff, Eisner, Miller. Le découpage de ses planches alterne la linéarité du medium avec des prises de vues plus proches du 7e Art.